Misère de la déconstruction : Deleuze, Foucault, Derrida, « french theorists » au service du nihilo-mondialisme américain (sur Katehon)

Si les États-Unis ont été le laboratoire social du post-modernisme, des Européens, Français à l’avant-garde, en furent les théoriciens. Comme souvent, les Américains font d’abord, pensent ensuite et, philosophiquement, presque jamais par eux-mêmes. Ainsi la dissolution du patriarcat, l’individualisme économico-juridique, le règne du consumérisme et le relativisme moral ont-ils été expérimentés aux États-Unis avec plus de spontanéité et de radicalité qu’en Europe. Mais la vague post-moderne a dû ses concepts au travail de philosophes français. Sans l’hégémonie américaine combinant puissance matérielle et mimétisme social, hard et soft power, l’anti-monde des quarante dernières années aurait bien sûr été impossible ; mais sans les élaborations, ou élucubrations, menées en Europe par certains penseurs, il n’aurait pas exercé la même séduction intellectuelle.

Des deux côtés de l’atlantique, cependant, cette hégémonie n’a jamais été complète. L’histoire n’a pas de fin, aucune époque n’est parfaitement synchronique, et toute domination trouve ses contrepoids. Contre le nihilisme post-moderne, le katekhon a bien opéré. – Par l’inertie des traditions culturelles et des structures familiales, par un patriotisme imprégné de religiosité et un populisme qui viennent de porter Trump au pouvoir en Amérique, par un mouvement de réaction contre la « moraline » droit-de-l’hommiste qui doit encore trouver en Europe sa traduction politique. Je suis de ceux qui considèrent que la configuration nihilo-mondialiste est morte, dans l’ordre de l’esprit comme dans celui de la matière. Mais le cadavre poursuit ses destructions, comme un zombie. Il faut donc encore en disperser les restes.

Il n’est pas utile en revanche d’entrer dans les subtilités, somme toute bien facultatives, de la déconstruction philosophique. La diversité interne de ses courants, réelle, n’est pas essentielle. Toutes ses variantes sont rassemblées sur la même ligne de front par leurs cibles communes : l’enracinement historique, la substantialité philosophique, la décence morale et, au strict plan politique, les nations dans leur identité et les États dans leur souveraineté. Somme toute, la déconstruction croise les deux principales idéologies soixante-huitardes : le post-marxisme et le libertarisme, qui ont rapidement surmonté leur antagonisme initial. La première peut être représentée par Toni Negri1 dont les « multitudes mondiales », qui succèdent aux classes nationales, ont pour première passion, plus que la lutte anti-capitaliste, de détruire « cette merde d’État-nation2 » (sic…). Quant à l’autre coulée répandue par mai 68, libertaire et « alterolatre », cosmopolite et « autophobe », elle débouche sur la « gauche morale » immigrationniste. C’est elle que j’aborde ici à travers ses maîtres à penser Deleuze, Foucault et Derrida.

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Quand on se tue à répéter que le niveau baisse… la preuve par le petit Nicolas Hénin

heninJe me croyais en vacances… et voilà qu’à peine ma dernière copie de bac corrigée, je suis rattrapé par le boulot. C’est qu’un ami vient de porter à ma connaissance le passage d’un livre récemment paru où je me trouve mentionné, La France russe de Nicolas Hénin. En mission atlantisto-bobo, ce garçon voudrait établir, pour les dénoncer, les liens entre l’« extrême droite » et la Russie de Poutine. Ayant publié il y a deux ans Vladimir Bonaparte Poutine, Essai sur la naissance des républiques (aux éditions Perspectives libres), j’offre au petit Nicolas, qui a sautillé vers mon livre sans l’avoir lu, l’occasion de mesurer sa taille exacte. Mais c’est vite fait que je retourne au turbin pour le corriger, sa poussive commission ne méritant pas davantage.

J’ai donc rapidement parcouru son gros article de Libération relié pour y relever un style médiocre, une documentation incertaine, de lourdes déficiences conceptuelles que des trouvailles journaleuses échouent à compenser – du genre, en titre de chapitre, « Le Pen s’habille en Pravda »… Comme tous ses semblables dans la profession, il réduit à l’« extrême droite », dont il ne maîtrise ni l’histoire ni l’étroit périmètre actuel, la vaste mouvance qui s’oppose de près ou de loin à l’idéologie libérale, atlantiste et multiculturaliste. A savoir aussi des gaullistes, des patriotes de gauche, des économistes hétérodoxes, des catholiques politiques… Quant à la Russie de Poutine, elle est elle-même repeinte en dictature journalicide, le petit Nicolas ignorant que les assassinats de journalistes, qui sont majoritairement le fait de mafieux locaux, ont décru sous Poutine par rapport à l’ère Eltsine. Inutile de s’attarder, on est en présence d’un de ces innombrables livres de (mauvais) journalistes qui, contre toute évidence, croient penser.

Les deux passages qui me concernent résument les tares du genre. J’y suis d’abord présenté comme un « proche d’Alain Soral ». Or dans cette réalité qui n’intéresse pas le petit Nicolas, je ne l’ai jamais rencontré. Mais faisons preuve de charité pédagogique en accordant à l’« enquêteur » qu’on peut être proches sans se connaître – par les réseaux et par les idées. Je vois d’ici l’instruction menée par Minicolas dans le premier domaine : elle a dû se réduire au seul acte de recherche dont il est capable, à l’instar de mes plus mauvais élèves, c’est-à-dire la « googlisation ». Et il trouve encore le moyen de s’y tromper… Qu’aurait-elle dû lui apprendre ? Que les éditions Kontre Kulture conduites par Alain Soral ont diffusé, comme elles sont libres de le faire, mon livre sur leur catalogue. Je les en remercie chaleureusement et, moindre des courtoisies, leur avais accordé un entretien vidéo au moment de la parution. Rien de plus. Sur le plan des idées, si ce petit bonhomme avait un peu de culture, et s’il m’avait lu surtout, il saurait qu’entre Soral et moi il y aura toujours l’islam. Part faite de la diversité de ses courants, il y voit un môle vertueux de résistance au mondialisme. Je l’inscris dans une critique complète du messianisme abrahamique qui agit à mes yeux, aujourd’hui comme toujours, contre les nations. Il envisage l’existence d’une importante communauté de musulmans patriotes français. Je vois par les grands nombres que l’islam n’est pas un corps soluble dans la France. Rien de moins.

Nicolicule poursuit en caractérisant mon livre comme une « hagiographie de Poutine ». Faux, nul, zéro, redoublement demandé ! S’il contient en effet tous les éléments biographiques disponibles sur le terriblement secret Vladimir Vladimirovitch, il est un ample essai de philosophie politique qui suit « Poutine de l’antiquité à nos jours ». Remontant des Grecs anciens jusqu’à nous, il pratique un billard à trois bandes entre le Consulat, la Russie de Poutine et la France contemporaine. Et, non, je ne fonde pas l’analogie entre Poutine et Bonaparte sur la lutte qu’ils auraient mené contre une « décadence » provoquée par la révolution française et l’implosion de l’URSS. Voilà ce qui arrive quand on parle de ce qu’on n’a pas lu : je n’emploie pas une seule fois le terme dans l’ouvrage. J’y expose en revanche de manière détaillée le bouleversement objectif des institutions et des mœurs politiques consécutif à ces deux événements majeurs. Et j’y décris la façon dont Bonaparte et Poutine y ont porté remède sans les « contre-révolutionner ».

Allez, parce que je suis un correcteur bienveillant, un bon point qui, hélas !, ne sauvera pas cette déplorable copie : il est exact qu’à mes yeux l’exemple du redressement russe doit intéresser les patriotes français, non comme modèle à imiter mais comme expérience dont s’inspirer. Pourtant, catastrophe, ça se gâte aussitôt après! Le candidat-essayiste renvoie en effet le Poutine de Jaffré à l’« homme providentiel » de conception « fasciste » puis, à une phrase de distance, au « défenseur des racines chrétiennes de l’Europe ». Il faudrait savoir… mais petit Nicolas ne sait pas. Je montre en réalité que Poutine mène une politique d’autorité de l’État traduisible dans les termes français d’un gaullo-bonapartisme classique ; et que, soucieux d’entretenir l’identité spirituelle russe, il ne mène pas une politique de civilisation orthodoxo-centrée. Bref, cette copie est un naufrage, rédigée à la truelle de surcroît.

Avec le même esprit de justice qui m’anime en jury de bac, j’ai consulté, pour rééquilibrer sa note, le dossier de ce personnage dont j’ignorais jusqu’à maintenant l’existence. J’ai alors appris qu’il avait été retenu en otage par Daesh entre 2013 et 2014. Reçu à ce titre dans l’émission « On n’est pas couché » du 21 mars 2015, il accuse alors la politique étrangère française d’être responsable du djihadisme en France, mais parce qu’elle bombarde les djihadistes en Syrie. Il avait en revanche soutenu toutes les interventions atlantistes contre les nationalismes laïcs, remparts devant l’islamisme, en Irak, en Libye et en Syrie. Mais il ne sort de cette impasse intellectuelle, morale et politique que pour pointer ailleurs la cause du mal, selon lui plus profonde encore. Ce sont au choix la société, la nation ou le peuple français qui auraient essentiellement commis les djihadistes : « Le fait est que c’est une nouvelle illustration d’une trahison de l’Occident, de cette société qui refuse de les intégrer à la maison, chez eux, en France. » On n’a pas donné à ces pauvres chéris ce qu’ils voulaient (et quoi, au juste? En plus des allocations, de soins solidaires, d’une instruction gratuite, de libertés publiques ?), ils sont donc acculés. Au comble de la détresse, il ne leur reste plus qu’à aller finir des innocents à l’arme blanche dans une salle de concert passée à la kalachnikov. La mort dans l’âme ?

Nicolas le dhimmi explique apparemment dans sa précédente livraison, Djihad academy, que les motivations des Abaaoud, Kouachi et Cie ne sont pas « purement religieuses » – quelle découverte ! Depuis quand l’ont-elles jamais été dans l’histoire, le religieux se mêlant toujours à d’autres passions et intérêts ? Mais le but de l’opération est clair : dédouaner du Bataclan la religion du paradis aux 70 vierges pour accuser, donc, la méchante société française. Nicolas le « stockholmisé » aggrave encore son cas en invitant à ne pas défendre les chrétiens d’Orient (ni même à leur délivrer des visas) parce que, précisément, ils sont ciblés pour attirer l’attention… Évitons d’encourager les djihadistes, en somme, en abandonnant les chrétiens à leurs lames. Lisons-le une dernière fois pour fixer la note : « Nous avons des masses de gens qui sont très largement privés de moyens d’expression, qui sont enfermés parce qu’ils ne peuvent pas manifester dans la rue, parce qu’ils ne peuvent pas écrire ce qu’ils veulent sur leur mur Facebook et quand les gens sont à ce point restreints dans leur champ d’expression, que font-ils ? Ils s’enferment, ils s’enterrent dans de l’action clandestine et de l’action violente et ça donne le terrorisme (sic). » Qu’ajouter ?…

A l’évidence, le petit Nicolas présente tous les symptômes de la dhimmitude boboïdée. Je vois mal à ce degré de progression quel traitement recommander. Je préconise toutefois, pour sauver ce qui peut encore l’être, un stage de remise à niveau en histoire, en français et en déontologie. Avec, dans cette dernière matière, la récitation en boucle de ce mantra : « Je jure de ne plus parler désormais que des livres que j’aurai vraiment lu ! Je jure de ne… ». Ah ! devant ce fiasco d’école de journalisme, je ne peux m’empêcher de penser, avec mélancolie, que l’argent public inévitablement versé pour sa libération aurait mieux servi au budget des services spéciaux. Question de priorités. Pour qu’on en change radicalement, il faudrait que s’établisse en France ce régime « gaullo-poutinien » qu’il redoute. D’ici là pas d’inquiétude, mon petit Nicolas : malgré ton lamentable niveau, tu t’en sortiras toujours. Dans ton univers social, le ridicule ne tue pas, l’incompétence prospère et la bien-pensance rapporte.


Affaire Baupin : la Cosse, la brute et les truandes

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Les écologistes ne sont jamais en retard d’un bon spectacle. Cette fois, c’est Tartuffe chez les féministes. Avec les mêmes ressorts : les discours sont ridiculisés par les actes, le réel brut se venge de la mascarade sociale, un dieu comique fait régner un peu de justice en poussant le héros à être pleinement ce qu’il est pour humilier totalement ce qu’il dit. À cette différence près que, dans cette pièce-ci, tout le monde est Tartuffe.

Emmanuelle Cosse, militante LGBT devenue ministre, pourfend le machisme chez les autres mais couvre, en bonne épouse bourgeoise du XIXe siècle, les turpitudes de son conjoint. Promoteur de la loi contre le harcèlement, Denis Baupin se met du rouge à lèvres le 8 mars par solidarité avec les femmes-victimes, mais pratique la tentative de chope-limite sur les « bonnasses » de son parti. Celles-ci trouvent enfin le courage de dénoncer l’innommable de la souffrance, l’irreprésentable de l’horreur, mais quatre ans après et faits prescrits – une fois que le couple a trahi EELV pour un maroquin ministériel.

D’un acteur à l’autre, on monte en puissance dans la tartufferie. De facture victorienne chez Cosse, dirigeante de ligue de vertu féministe faisant du gras à l’ombre de la « phallocratie », elle est plus vaudevillesque chez Baupin, dont on découvre donc qu’il ne pense pas seulement avec sa conscience bobo-progressiste. Elle est orwellienne, enfin, chez ses dénonciatrices. Pourquoi ont-elles attendu aussi longtemps, ces pauvres petites choses ? Mais c’est qu’elle vivaient sous le système de terreur masculine incarné par Denis le « rouge à lèvres » ! Comme s’il n’y avait pas dans la France de 2016 des armées d’avocat(e)s, d’associations, de journalist(e)s (?!?) prêtes à fondre sur ce genre d’affaires comme la vérole sur le bas clergé breton. Comme si ces cadres d’EELV étaient des isolées du quart-monde ignorant ces moyens de défense. Comme si nous vivions, sinon dans certains quartiers, à Riyad ou Lagos…

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Avec Aimefric Chauprade, la trahison n’est vraiment plus ce qu’elle était

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Il y eut Alcibiade, cet intrépide général grec à la beauté légendaire dont le charisme subjugua Perses et Spartiates dans les camps desquels il est successivement passé. Ayant donc trahi sa cité d’Athènes plusieurs fois, il y fit un retour triomphal en 407 avant Jésus-Christ. C’est le traître héroïque. Il y eut aussi Judas dont l’ignominie émane moins de la volonté d’un homme que de la sublimité noire d’un destin – renégat mystique et douloureux, écrasé par le poids de sa faute. Plus tard et plus français, il y eut encore le Grand Condé, frondeur hésitant entre le Privilège et l’Allégeance qui, après avoir servi l’ennemi espagnol, obtint le pardon royal et remporta pour la monarchie quelques batailles de Hollande. Il fut un « déloyal d’honneur ». Diplomate redoutablement subtil, Talleyrand trahit tous les régimes sans renier la France – en bon machiavélien si l’on se rappelle que Machiavel aimait «sa patrie plus que son âme ». Joseph Darnand, héros des deux guerres mondiales, « ce grand dévoyé de l’action » selon l’expression parfaite de De Gaulle, mit un courage physique inouï au bout de sa Collaboration – impossible de mépriser sans mauvaise foi ce félon de jugement, pas de volonté.

Et maintenant, comment se porte la trahison ? Quand on se tue à répéter que le niveau baisse… voici – Ecce puceau – Aimefric Chauprade. A dire vrai, ce n’est pas sans répugnance que je me suis résolu à lui consacrer quelques lignes, craignant de le sortir de sa misère en l’élevant à la dignité littéraire. Mais, soyons justes, il m’a mérité par son travail. Alors que peu m’étonne, il a réussi à me surprendre. Il a tout osé, tout fait, et porté la trahison dans son âge post-moderne. Oh certes seulement dans un parti politique, la France étant à jamais trop grande pour son petit corps. Saluons toutefois la belle prestation de ce véritable perform-artiste du reniement, qui ne se déplace à la recherche d’un billet qu’imper ouvert, froc baissé, main tendue et regard fuyant.

Les faits, d’abord. Rejoignant le FN en 2013, Aimefric obtient tout de suite, grâce au discernement supérieur de sa direction, une place éligible au parlement européen avec son très gros salaire. Après s’être fait connaître par une ligne anti-atlantiste pro-russe, opposée au « choc des civilisations », il retourne sa veste dès l’été 2014 en préconisant le soutien aux États-Unis au nom de la lutte contre le terrorisme islamiste. Il se grille parallèlement auprès de tous ses réseaux, français et russes, par un ensemble d’indélicatesses comportementales et financières. C’est que l’argent est son amour, sa passion, son tendre drame. Il s’exhibe ensuite dans l’affaire Air cocaïne en se présentant comme le « chef de la première équipe », portant son rôle en bandoulière, ce qui a heurté la culture de secret et de pudeur des militaires physiquement engagés, eux, dans l’opération. Car c’est l’autre passion du garçon, la virilité – d’emprunt, elle aussi. Mis sur la sellette par cette affaire, il quitte enfin le Front à la fin 2015 sous des prétextes moraux et idéologiques qui n’ont trompé personne. Mais il atteint tout récemment son climax par une offre ouverte de tapin. Admirons l’artiste : « Je trouve les programmes de Fillon et Le Maire très intéressants » ; « la candidature de Michèle Alliot-Marie est crédible, elle a le sens de l’État » ; « Nicolas Sarkozy conserve le dynamisme qu’on lui connaît ». Après avoir dénoncé le Grand Remplacement migratoire, il applique aux Républicains une fellation idéologique de professionnelle expérimentée : « Il est bien sûr essentiel de contrôler l’immigration et de nous concentrer sur l’intégration, mais nous ne pouvons pas diaboliser les migrants dans le même temps (…) Nous devrions être fiers que des migrants veuillent venir en France et prendre part à notre histoire commune, à notre langue, à notre culture ». Il conclut sa prestation en donneuse qu’on n’a pas besoin de torturer : « Je suis l’arme anti-FN pour la droite. Je sais tout sur ce parti, je n’ai pas dévoilé toutes mes cartes, et ça, ils le savent chez les Républicains ». Et c’est là que ça devient beau, presque sublime. A cette altitude où l’air se raréfie, il n’y a guère peut-être qu’Éric Besson pour rivaliser. Je peux me tromper mais je crains pour lui que les équipes de Sarkozy notamment, avec leur grande culture de la corruption, apprécient à sa juste valeur la candidature Aimefric.

Le personnage, ensuite. Pour l’avoir rencontré au Front où je me suis trouvé quelques fois à la table des caciques, j’ai senti que dans ce biotope où grouillent les 5e dan de karaoké, les homosexualités haineuses et les cathotradismes à moustaches en retour d’adolescence, on tenait là un champion. Il avait quelque chose de plus, une obséquiosité vénale, un taux de fausseté radioactif qui faisait pâlir tous les autres. J’ai d’instinct vu en lui le genre de type auquel il est légitime de faire signer une reconnaissance de dette pour un prêt de vingt centimes. S’il vous dit qu’il fait beau dehors, il faut d’urgence aller vérifier soi-même. Et puis on perçoit vite son drame intime : rien n’y fait, toute tentative de virilisation s’écrase sur le mur du réel ; l’image de ce qu’on voudrait être recule sans cesse, et revient en permanence ridiculiser ce qu’on reste fatalement ; puceau un jour, puceau toujours, tous les succès conservent un goût de râteau de lycée, sans même parler de ceux qu’il s’est pris au Front. Enfin pour en dire un mot, et être juste, l’ascension d’Aimefric a été favorisée par ses quelques compétences intellectuelles, toutefois largement surdimensionnées par un mouvement qui souffre en la matière de cruelles carences. Mais là encore, parce qu’on est ce qu’on est, ses livres sont généralement des collections d’articles sans style ni unité organique, juxtaposés, qui respirent la paresse et, pour les « professionnels de la profession » , la pompe et le vol d’étudiants.

Mais c’est son œuvre morale qui compte. J’étais certain qu’il trahirait un parti qui, par ailleurs, ne mérite pas forcément qu’on y reste. Je me suis seulement trompé sur la date, ayant pronostiqué 2019. Allant plus vite et plus obscène, il a donc réussi à m’étonner, moi qui suis à l’occasion amateur de laideurs élaborées – films de série B, variétés kitsch et bimbos. Comme Bob Flanagan « le supermasochiste » avait plongé l’idée même de théâtre dans l’abjection post-moderne, l’obscur Aimefric Chauprade restera dans la (toute) petite histoire pour avoir fait du mal à la notion de trahison. Car en ce domaine comme dans d’autres, c’était vraiment mieux avant. Mais j’ai bon espoir qu’on retrouve, là comme ailleurs, un peu de grandeur. Vivement Talleyrand et rendez-nous Judas !